Le footballeur américain Colin Kaepernick est un être humain rempli de sensibilité. Américain de sang et de cœur, il est devenu depuis la fin du mois d’août, la cible des médias qui lui reprochent d’avoir bafoué l’hymne national à quelques minutes du coup d’envoi d’un match officiel. S’il existe bel et bien un message de paix derrière tout cela, il ne cesse de diviser un peuple, déjà bien perturbé en vue des futures élections présidentielles de novembre prochain.
En refusant de se lever au moment de célébrer l’hymne américain « The Star Spangled Banner », Colin Kaepernick a pris ses responsabilités de sportif de haut niveau, lui aussi affecté par ce regain de racisme ambiant qui sévit aux États-Unis, alimenté au quotidien par les déclarations sulfureuses d’un Donald Trump, candidat à la présidence en perte de vitesse. Lors de la rencontre « San Francisco 49ers – Green Bay Packers » du 26 août dernier, le « quarterback » vedette s’est attaqué à un symbole du pays, auquel il ne vaut mieux pas toucher si l’on ne veut pas s’attirer les foudres de toute une partie d’une population trop patriote. Pas forcément fier d’avoir été irrévérencieux vis à vis du drapeau de sa terre natale (il est né à Milwaukee dans le Wisconsin), il a pleinement assumé son attitude, saisissant l’opportunité pour faire passer son message sitôt le match terminé. Deux poids, deux mesures…
« Je dis la vérité, je ne veux pas me repentir pour cela. Ce pays doit changer ! »
Extraits choisis (Colin Kaepernick)
En tant que joueur métis, il a estimé qu’il devenait publiquement nécessaire de monter au créneau, afin de critiquer notamment certaines pratiques récurrentes de certains policiers vis à vis du peuple afro-américain, sans oublier la prolifération de l’utilisation des armes à feu, un vrai fléau qui gangrène le pays du « Premier amendement ». Avant lui, d’autres sportifs issus du monde du basket-ball avaient pris la parole, sans toutefois passer à l’acte par le biais d’un geste « fort ». Parmi eux, l’illustre Michael Jordan – dont le père a été assassiné en 1993 – est récemment monté au créneau. Il avait été discret jusque là, en juillet dernier il a enfin fait part de ses états d’âme au site The Undefeated.
Dès le lendemain des déclarations de Kaepernick, la cousine de Dwayne Wade (joueur NBA des Chicago Bulls) – Nykéa Aldridge – se prenait deux balles perdues à Chicago suite à un règlement de compte entre gangs, laissant quatre enfants orphelins. Évidemment, rien n’est lié entre les deux épiphénomènes, le constat parle juste de lui même. La criminalité est devenue plus que monnaie courante, quel que soit l’endroit du territoire fédéral. L’année 2016 elle, explose tous les records en terme de statistiques de tués par balle. Rien ne certifie que ces chiffres baisseront, au contraire on sent qu’ils peuvent augmenter à tout moment vu l’ambiance qui règne chez « l’Oncle Sam ».
Un coup d’épée dans l’eau ?
Érigé au rang de superstar de la NFL (ligue américaine de football américain) depuis qu’il a fait partie de l’épopée Superbowl en 2013 (finale perdue face aux Ravens de Baltimore), Kaepernick n’oublie pas ce qu’il vit au quotidien, au contraire il se considère lui aussi une victime collatérale. « Des gens autour de moi subissent les faits que je réprimande. Cette violence, je ne l’invente pas, je la vois moi-aussi. » Si beaucoup approuvent l’intégralité de ses propos, l’acte en lui même (relayé par son coéquipier Eric Reid) a suscité de nombreuses contestations le jour J, parce qu’il n’était absolument pas prémédité. Un vrai ras-le-bol ! Kaepernick a opté pour la rebellion, quitte à devenir un paria dont la tête pourrait devenir secrètement mise à prix.
Conspué par une minorité d’ignorants de la foule à San Diego (où s’est disputée la rencontre), qui ne pouvait pas comprendre la symbolique du geste momentané, il a pris tout le monde au dépourvu, y compris certains joueurs du camp adverse qui lui ont reproché d’avoir manqué de respect à l’armée. Il se trouve qu’un contingent militaire chantait l’hymne ce jour-là, à l’occasion d’une commémoration particulière. Mauvais timing pour Kaepernick, qui s’est justifié et qui a regretté d’avoir manqué de respect à cette institution envers laquelle lui aussi avait brièvement collaboré par le passé. Les explications devenaient donc nécessaires, pour définitivement justifier ce comportement tendancieux en plein direct télévisé. De toute manière, chacun y interprètera le message qu’il a envie de comprendre. Quelques jours plus tard, l’internationale de football Megan Rapinoe a imité son homologue des 49ers par solidarité envers les opprimés des minorités. Même si elle est de race « blanche », la joueuse-homosexuelle- en connaît un rayon sur la privation de certaines libertés. Elle a jugé important de soutenir la cause, quitte à recevoir une sanction.
L’hymne et l’unité nationale remis en question
Kaepernick s’est-il dangereusement exposé en agissant ainsi ? Première certitude, il est devenu un symbole d’une Amérique se définissant comme « unie » au sens propre, à moins de trois mois des élections américaines, prenant position pour un avenir plus sécurisé. Côté républicain, Donald Trump s’en est donné à cœur joie et a été sans pitié pour le félon : « Il a été exécrable (…) Je lui conseille de se trouver un pays plus adapté ». A l’inverse chez les Démocrates, siégeant à la Maison Blanche, on lui a accordé un soutien tout en s’impliquant au minimum : « Chacun peut proférer ses idées librement . » Son club de Francisco le soutient et ne le sanctionnera pas, même s’il a menacé de rester de marbre à nouveau, lorsque l’hymne serait entonné à l’avenir. Outre le contexte politique majeur, cette protestation a également permis de soulever la question de l’utilité de l’hymne avant un événement sportif. A quoi sert-il vraiment ? Pourrait-on s’en passer à l’échelle sportive ?
Tous les porte-paroles de chaque ligue américaine ont réagi sur le sujet, et certains sont d’accord sur le fait qu’il faille réfléchir et s’adapter aux temps modernes. En base-ball, on le joue depuis le milieu de 19e siècle avant chaque match, autant vous dire qu’il sera compliqué de s’en priver, tout comme en football américain où il fait partie du folklore : « Nous estimons qu’il est formidable de communier ensemble en l’honneur de notre nation, et de songer à toutes les personnes qui ont construit et protégé notre terre. », soulignait Brian McCarthy, représentant de la NFL. La NBA ne s’en préoccupe plus depuis 1946 (par désir de protection), année de création de la ligue sus-nommée. Quant à la Ligue de Hockey sur glace (NHL), elle a remplacé « The Star Spangled Banner » par « God Bless America » dans les années 70. Chaque entité qui gouverne une instance sportive, selon ses positions, agit en toute indépendance et c’est aujourd’hui un « bordel sans nom » d’imaginer une régulation plus en adéquation avec les temps modernes.
Sources : (nytimes.com, foxnews.com)