L’épuisante tournée mondiale d’Esperanza Spalding prendra bientôt fin, sitôt qu’elle aura bouclé son périple chez elle aux Etats-Unis. Depuis le mois de mars qui a vu la sortie de son 5e opus : “Emily’s D Evolution”, la bassiste à la voix de velours prouve que sa métamorphose initiée il y a deux ans, lui permet de sensibiliser une audience encore plus diversifiée. Issue du monde du jazz, la surdouée qui vient de fêter cette semaine ses 32 ans, a ressenti un besoin de revenir sur son passé d’adolescente rebelle, s’accordant une seconde jeunesse, paradoxalement pleine de maturité. Benjamin Button existe vraiment et il est sacrément efféminé !
A force d’être comparée toutes ces années à un petit chaton qu’on aurait tous envie de caresser (sans aucune arrière-pensée), Esperanza Spalding a décidé de bouleverser les codes et nous a présentés avec brio son double Emily D au printemps dernier, censé illustrer le côté rebelle d’une “jazz woman” bien trop sage en apparence. Au delà de la volonté de se faire une place parmi les vedettes du star-system qui vendent plus de 15 disques à l’année, Spalding impose de plus en plus la richesse de son registre, apportant des touches électriques de rock & de funk à sa musique habituelle, réputée plus douce et plus acoustique. Les mises en scène sont soignées, les improvisations se multiplient selon les ambiances et le travail effectué en amont rappelle celui d’autres artistes iconoclastes légendaires.
Elle tire un trait sur le passé
Au placard la coupe afro et les petits chemisiers sobres de fille de bonne famille, place aux dreadlocks soigneusement négligées, aux lunettes d’intello à la Steve Urkel et à des vêtements aux couleurs beaucoup plus “flashy”. Ainsi, la schizophrène néo-ado ne passe plus inaperçue et heurte à présent un public beaucoup plus large qu’un temps soit peu. Mais inutile d’essayer de qualifier le contenu qu’elle propose, il s’agit principalement d’un projet vivant et évolutif sans la moindre limite : « Ces deux dernières années ont vraiment été marquantes pour moi. A travers ce projet, j’ai enfin pu comprendre qui j’étais et comment je pouvais faire passer mon message sur scène. » détaillait-elle au magazine Billboard entre deux concerts.
Peu avare en terme de débauche d’énergie, la sublime Esperanza Spalding n’est pas du genre à supporter les comparaisons avec autrui, y compris dès lors que l’on évoque telle ou telle influence. Depuis toute jeune et cette enfance défavorisée, qu’elle a vécue du côté de son Oregon natal, elle a rapidement compris que c’est par le travail exclusivement, qu’elle obtiendrait sa juste récompense, tôt ou tard. Bien que le sou manquait parfois à la maison, sa mère l’a toujours encouragée à s’investir un maximum dans la pratique du chant et d’un instrument, quitte à mettre une parenthèse à une scolarité standard. Le concept du hasard n’existe pas chez cette fonceuse, qui sous ses airs de brebis docile, cache une personnalité bien marquée.
Des nombreux sacrifices certes, mais grâce à ses éclairs de génie, la jeune prodige intégra rapidement la section musique classique de l’Université de Portland, puis devint boursière au très prestigieux Berklee College of Music à Boston, à l’opposé de son sérail (elle y est devenue la plus jeune enseignante à 20 ans). S’étant initialement focalisée sur le violon, elle avait entre temps, opté pour une transition avec une majestueuse contrebasse, sans laisser de côté le chant et les multiples exercices vocaux qui font son charme :
« Accompli n’est pas un terme qui colle à ma philosophie. Il y a chez moi, une constante recherche du progrès. Ce boulot d’artiste symbolise mon existence à part entière, je fonctionnerai ainsi pour toujours. »

Esperanza Spalding avant son relooking
Petite protégée du bassiste jazz-rock Stanley Clarke, Spalding a toujours su bien s’entourer et imposer discrètement ses directives. Depuis le candide Junjo, sorti il y a dix ans, elle n’a jamais cessé d’afficher ses progrès au fil de ses cinq albums en solo. Comme vocalement, elle n’a rien à envier aux divas, elle prend toujours autant de plaisir à se fixer elle-même des challenges bien complexes, pendant que d’autres préfèrent se reposer sur leurs récompenses du passé et relancer du réchauffé sans vergogne. Son exercice préféré du moment demeure celui d’écrire la même chanson en y modifiant les textes. Selon le contexte du concert qu’elle donne et selon son humeur de l’instant, car n’oublions pas qu’elle est assez versatile, ses “lyrics” peuvent varier à volonté. Avec Spalding, on n’a pas fini d’être surpris tant qu’elle prendra autant de plaisir à brouiller les pistes. Preuve en est, elle ne répond plus au doux prénom d’Esperanza qui lui seyait tant à merveille.
(Sources Billboard / www.us-full.com)