Dana Washington est l’auteure de bon nombre de couvertures et de portraits de musiciens dans LA Record Magazine. Elle a organisé sa première exposition à Los Angeles en septembre 2016 et certains clichés sont vendus comme des petits pains. Bravo aux investisseurs qui ont misé sur cette artiste en devenir avant qu’elle ne soit connue du monde entier en tant que véritable rockstar.
J’ai découvert Dana Washington en tant que photographe voici quelques années grâce à Kasey, contributeur à LA STEREO, à travers sa toute première série de photos, « Awa », exposée dans Tumblr et centrée sur les gens de couleur. C’est finalement mon copain Versis, qui a beaucoup collaboré avec elle lors de son dernier projet copaesthetic, qui me l’a fait rencontrer en automne dernier.
D’où vient ta vocation de photographe, et plus particulièrement de portraitiste ?
De Blogspots et Tumblrs (2009), et d’avoir vu partout des photos floues ou granuleuses. Je n’avais plus envie de chanter, ni de faire du rap – pour être franche je ne chantais pas si bien que ça – alors je me suis acheté un 35mm pour vingt dollars, comme complément d’activité (2010). J’ai ensuite connu le photographe B+ (2011), qui faisait des portraits de Lauryn Hill, J Dilla, Goodie Mob, travaillait au Brésil. Je me suis d’abord dit « Mais c’est qui ce blanc qui photographie les teintes de peau Noire comme ça ? » J’en ris aujourd’hui de tant d’ignorance, mais c’est son travail et sa manière de traiter les tonalités de peau qui m’ont donné le goût du portrait photographique.
Quel est le thème de l’exposition ; tu as utilisé quel appareil ?
Absorption; to: Do, une célébration de la Négritude, la liberté, la féminité explore l’identité et la religion. J’avais inscrit les mots “absorption; to do” dans mon téléphone le 12/02/2013, mais ça ne prend tout son sens qu’aujourd’hui. Sont exposées trois années de travail, résultant de trois ans passés à absorber les choses. J’y ai laissé tout mon argent mais j’ai gagné de l’amour, du soutien, j’ai éliminé le superflu, j’ai été témoin de deuils Noirs, de joies Noires… j’ai créé pour guérir.
Mon équipement n’a rien d’extraordinaire, mais je fais avec et essaie d’en tirer la meilleure partie tous les jours. Un Canon Rebel t5i, un vieil éclairage de studio de récupération et un appareil Mamiya RZ67 Pro II de format moyen.
Est-ce que tu peux nous parler de ton utilisation dans certaines photos du papier kraft comme toile de fond et de ton choix du noir et blanc plutôt que la couleur ?
J’ai commencé la série de portraits Awa (2014) en réaction directe à la mort de Michael Brown. Je voulais contrebalancer les images terriblement négatives des groupes ethniques que font circuler les médias. J’ai choisi l’arrière-plan orange brûlé pour mettre en valeur la palette des teintes de peaux Brunes (du clair au foncé).
Quant au choix entre la couleur et le monochrome, mes portraits couleur utilisent des tons neutres ou végétaux. Les couleurs vives ne me branchent pas trop. D’où cette préférence pour le monochrome. Mon truc, c’est l’évocation d’ambiances et d’émotions. Mon travail reflète soit mon ressenti, soit mon sujet.
Quelle a été l’importance de l’internet pour tes débuts comme photographe ?
L’année 2008 a été capitale ! C’est là que j’ai fait mon entrée dans le monde de l’art et sur la scène musicale de Los Angeles. Depuis, je suis passée par différentes étapes, mais MySpace a été déterminant. Je contactais au hasard artistes et gens à photographier, les photos ne valaient rien, mais c’était le meilleur moyen de faire mes armes. Tumblr et Instagram m’ont vraiment permis de faire connaître mon travail.
Je sais que tu t’apprêtes à t’inscrire dans une école d’études filmiques, comment envisages-tu le cinéma par rapport à la photo ? Comment décider quelles histoires raconter dans un film et lesquelles en photos ?
Je vais me spécialiser dans les Media Studies, qui englobent le cinéma, la photo et d’autres modes de production numérique. La différence, c’est que le cinéma n’est pas statique, contrairement à la photo. Il comporte énormément de dimensions, c’est une profession qui ne s’exerce pas en solitaire. Lorsque j’aurai appris à m’en débrouiller, mes films seront la réplique de mes portraits. Je veux que les gens qui voient mon travail le reconnaissent immédiatement comme étant de Dana Washington.
Pour les histoires… je suis écrivaine avant tout. Si je ne fabriquais pas d’image, mon métier serait d’écrire ou d’enseigner l’écriture – j’ai une licence d’anglais et ce n’est pas le fait du hasard, comme on a tendance à le croire. C’est important de se tenir au courant des livres les plus lus, j’ai du mal à le faire mais j’essaie de suivre le plus possible de littéraires en ligne et je suis attentive à la langue employée, les thèmes traités, les perspectives etc… La lecture a été pour moi le déclencheur de mon imaginaire. C’est aussi grâce à la lecture qu’on devient meilleur écrivain. Ça m’oblige à réfléchir et à trouver des formulations au-delà des images, j’adore les histoires.
Quels thèmes t’intéressent plus particulièrement en tant qu’artiste et quelles orientations futures tu prévois ?
Mon travail puise ses racines dans la négritude. Je veux raconter l’expérience Noire, mais du point de vue d’une femme. Il n’y a pas qu’une seule expérience Noire. Personnellement j’ai passé mon enfance à Orange County, en Californie… J’étais toujours la seule élève noire de la classe et les Noirs que je fréquentais me reprochaient de parler l’anglais des Blancs, tandis que pendant toute ma scolarité on m’a appelé Miss Washington parce que les profs Blancs n’arrivaient pas à prononcer mon prénom officiel : Donnielle. Je l’écrivais phonétiquement en haut de ma feuille parce que je suis merdeuse et que les noms, ça compte. Aujourd’hui je me fais appeler Dana mais les gens se trompent quand-même.
Nous avons tous un vécu différent et des histoires différentes à raconter. J’aimerais me confronter à de vraies questions, comme l’exploration de la sexualité, un sujet brûlant, les abus sexuels, le genre, la mort, l’ascendance, la quête de la liberté, le tout mêlé à mon imaginaire et mes rêves, pas nécessairement de la science-fiction
Pourrais-tu me citer cinq photographes ou cinéastes dont tu admires le travail ?
1. Kahlil Joseph, cinéaste
2. B+, photographe
3. Roy DeCarava, photographe
4. Bradford Young, photographe / directeur photographique
5. Kevin Young, auteur. Il ne fabrique pas d’image, mais ses écrits ont influencé les miennes.
Quelles autres femmes artistes admires-tu particulièrement ?
Assata Shakur : activiste, auteure. Son autobiographie a changé ma vie.
Lauryn Hill : Chaque couplet de The Score a été une leçon de survie pour moi. Sa voix, sa confiance en elle sont inébranlables sur ce disque. Tant que je suis encore là, ma voix, artistiquement et littéralement, sera indestructible.
Ava DuVernay : Elle n’a pas peur de défendre ses convictions pour promouvoir la diversité à Hollywood. J’ai vu certains de ses entretiens et elle va droit au but. Je paraphrase une réponse marquante qu’elle a faite à propos du fait d’être une femme dans un milieu dominé par les hommes : « Pourquoi je laisserais quelqu’un se mettre en travers du chemin que je poursuis? » Pas besoin d’en dire plus.
Propos recueillis par Marguerite de Bourgoing / LASTEREOTV
Traductions : Clara Meschia
(Sources : lastereotv, us-full.com)