Les premières semaines de l’ « Homme orange » ont été rentables : Donald Trump a réussi à se mettre à dos la justice fédérale et plusieurs dirigeants internationaux (Iran et Mexique notamment) en signant des décrets pour lutter contre l’immigration illégale. Entre les barbelés et le mur en béton, on décrypte la vieille rengaine qui associe immigrés et criminalité.

Le résultat de la politique “Trumpiste”, jusque dans les assiettes …
« J’ai un message pour les trafiquants de drogue, les membres de gangs et les cartels…vos jours sont comptés ». C’est par cette douce promesse que Donald Trump avait conclu son discours de campagne au mois d’octobre en Floride. Ciblant spécifiquement les Mexicains, le ton plaît et a relancé le débat sur le lien entre immigration et criminalité organisée. Outre le caractère xénophobe, cette idée que Trump n’a pas inventée, empêche de comprendre la complexité de la criminalité transnationale, bien réelle.
Donald Trump a démarré son mandat en grande pompe signant décrets sur décrets sur sa promesse de campagne : la lutte contre l’immigration. Il promet la construction d’un mur sur les 3 200 km de frontière avec le Mexique pour protéger les États-Unis des «trafiquants de drogue, criminels et violeurs » en provenance du Mexique et d’Amérique centrale. La rhétorique vise aussi la communauté hispanique sur le territoire et ceux ayant un casier judiciaire, dont les membres pourront être expulsés plus facilement.
L’Amérique latine et les pays d’Amérique centrale ont toujours représenté un intérêt particulier pour la politique de réduction des drogues des États-Unis. Souffrant à échelle nationale du trafic de drogues, ces pays seraient aussi des points clés sur la route de la drogue et les gangs sévissant en Amérique Centrale, jugés « transnationaux 1», participeraient à l’acheminement des substances illicites jusqu’aux États-Unis, pire, y seraient installés.
L’administration Trump s’emploie à stigmatiser les nouveaux arrivants et la communauté latino ancrée dans les quartiers périphériques. Les accuser d’être les responsables du trafic et de la violence engendrée par ce dernier est plus que réducteur mais blâmer l’immigration pour renforcer des politiques anti migratoires n’a rien de nouveau.

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L’immigration mexicaine des années 1960 a été à l’origine de la création des premiers gangs latinos aux Etats-Unis2. Les nouveaux arrivants se sont massivement regroupés dans les quartiers sud de Los Angeles, à l’écart de la majorité blanche de l’époque. Plusieurs vagues d’immigration avec pour destination la Californie ont augmenté les regroupements et la ségrégation des latinos. Or les nouveaux venus ne s’entendent pas plus avec les anciens, surtout les mexicains de seconde génération, ceux qui ont réussi à plus ou moins se mélanger au reste de la population américaine.
Se forment alors des gangs en réponse à une exclusion, une marginalisation et une peur de la mafia mexicaine1. Les guerres civiles, notamment celle faisant rage au Salvador de 1980 à 1992, poussent les populations à fuir leur pays et à tenter leur chance aux États-Unis.
Sur la 18th Street, les Mexicains gèrent l’urbanisation et les trafics dès les années 1960. Les salvadoriens rejoignent ce quartier à leur arrivée, certains choisissant d’intégrer le gang du Barrio 18 alors que d’autres préfèrent s’émanciper du contrôle établi et créent les premières « clikas » (cellules) de la désormais célèbre Mara Salvatrucha entre 1985 et 19882. Le nouveau venu sur la scène du crime attire car il présente une connexion culturelle et matérielle avec les réfugiés du Salvador mais aussi avec ceux restés sur place. Les deux gangs rivaux entreprennent une lutte pour contrôler de plus en plus de territoires. En 1995, 807 meurtres ont été attribués à l’œuvre des gangs latinos dans la région de Los Angeles, battant un nouveau record dans les homicides liés à l’activité des gangs.
Three Strikes, you’re out !
Les États-Unis décident de pratiquer principalement des politiques migratoires afin de lutter contre la criminalité. Étant donné que les gangs sont perçus comme des simples produits de l’immigration, la solution principale est de limiter les flux migratoires. Sur le plan local, la Californie passe d’abord une loi relative au cadre pénal, la « Three Strikes and You’re Out », qui consiste à doubler la peine de prison pour les criminels récidivistes3. Passée cette loi, des milliers de membres de gangs de Los Angeles, dont des immigrés centro-américains, viennent gonfler les prisons déjà surpeuplées de la région. Les membres de gangs même mineurs sont considérés comme des adultes et passent eux aussi par l’emprisonnement4.
La première politique migratoire ultra restrictive au niveau fédéral est mise en place dès 1996 : la IIRIRA (Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsability Act), accompagnée de l’Antiterrorism and Effective Death Penalty Act. Les immigrés sans papiers sont renvoyés dans leurs pays d’origine s’ils commettent un crime puni d’emprisonnement d’un an ou plus5.
S’ajoute un caractère rétroactif à cette politique d’expulsion et élargit la définition « d’aggravated fellony » en incluant la violence, le vol, l’extorsion, les infractions aux jeux d’argent et l’obstruction de la justice comme des délits suffisamment graves pour réclamer l’expulsion de ceux qui les commettent. Forcément le nombre d’expulsions augmente considérablement, il a presque doublé, passant d’environ 40 000 au début des années 1990 à 170 000 en 1999 et 350 000 en 2008, l’année d’arrivée d’Obama au pouvoir.

A droite, Tijuana (Etat de Baja California, Mexique) et à gauche, San Diego (Californie)
Rien de nouveau sous le mur
Pour casser toute idée reçue comme quoi Barack aurait été plus cool envers les migrants venus du sud du continent, il est bon de rappeler que son gouvernement a accentué sa politique de renvoi des immigrés ayant « menacé l’ordre public, la sécurité nationale, ou lié à des activités criminelles notamment de gang ».
Alors certes, Obama a annoncé en juin 2014 que le pays cesserait d’expulser les jeunes immigrés clandestins répondant à des critères précis comme être âgé de moins de 30 ans, être arrivé aux États-Unis avant l’âge de 16 ans… mais il faut évidemment n’avoir commis aucun délit et ne pas poser de problèmes de sécurité pour le pays.
L’espoir est quand même donné à environ 4 millions de jeunes sans papiers. Néanmoins, les 2/3 des deux millions de personnes expulsées depuis le début du mandat d’Obama avaient commis des délits mineurs ou n’avaient aucun casier judiciaire. “Les expulsions de sans-papiers verbalisés pour un excès de vitesse ou un tapage nocturne ont été multipliées par quatre depuis 2009” rappelle la journaliste Isabelle Piquer.
Bref, si vous ne le saviez pas encore, Obama n’était pas ultra flex à ce sujet et “The Donald” ne va pas adoucir cette politique.
Pour casser le mythe immigration – criminalité, on peut citer une étude réalisée par Ruben Rumbaut et Walter Ewing en 2007. La population de clandestins a doublé depuis 1994 (date de la signature de l’accord de libre-échange de l’ALENA), le taux global d’atteintes à l’intégrité physique des personnes1 a diminué depuis de près de 34,2% et celui des atteintes aux biens a diminué de 26,4 %2. Les villes avec de fortes populations immigrées comme Los Angeles, New York, Miami ou Chicago montrent pour la même période des taux également à la baisse.
Le crime organisé transnational est un phénomène qui, par définition, dépasse les frontières. Alors oui il n’est pas faux de dire que les criminels étrangers ont une certaine influence sur la criminalité interne. La connexion avec leurs pays d’origine permet de tisser des liens plus forts entre production et vente de la drogue. Ils ne sont pas branchés circuit court. Et il est aussi peu contestable de souligner la porosité de la frontière Etats-Unis – Mexique quand on compte le nombre de kilomètres de tunnels creusés par les cartels (El Chapo, nommé meilleur ouvrier du BTP 2015) pour aller écouler pépos la drogue de l’autre côté.
Le hic, c’est que la politique anti-migrants et de surcroît, anti-latino détourne le débat sur une réelle coopération transnationale sécuritaire avec le reste du continent américain. La mondialisation du crime est différente de l’immigration. Les cas d’étrangers qui font partie de bandes criminelles transfrontalières n’ont rien à voir avec la logique des flux migratoires et, dans la plupart des cas, ses membres se déplacent d’un pays à l’autre comme de simples touristes ou des visiteurs occasionnels. Rejeter simplement et purement la faute sur des communautés déjà stigmatisées bien que de moins en moins minoritaires (Los Angeles compte plus de 48% d’hispaniques) ne réduit en rien les problèmes liés aux organisations transnationales du trafic.
Sources et références :
1: Le Guatemala, le Honduras et le Salvador sont considérés comme des « pays de transit » pour le cannabis, la cocaïne et l’héroïne ayant pour destination le Mexique. Pour le FBI, les gangs ne sont pas considérés comme des grandes structures du narcotrafic mais contribuent à leur transit.
2: VALDEZ Al, Gangs : A Guide to Understanding Street Gangs, 1997.
3: FRANCO Celinda, « The MS-13 and 18th Street Gangs : Emerging Transnational Gang Threats ? », Report for the Congress, 2008
4: SAVENIJE Wim, « Las pandillas transnacionales Mara Salvatrucha y Barrio 18st. : Una tensa combinación de exclusión social, delincuencia y respuestas represivas », dans T. Lesser, B. Fernandez, L. Cowie et N. Bruni (eds.), Intra-Caribbean Migration and the Conflict Nexus, San Salvador: FLASCO Programa El Salvador, 2006, pp. 205-228.
5: Si le délinquant récidive une première fois, sa peine sera doublée comparé à la première sentence. Si le délinquant récidive deux fois ou plus, la peine sera cette fois de 25 ans minimum et pouvant aller jusqu’à perpétuité.
Source : California Courts, California’s Three Strikes Sentencing Laws, Judicial Council of California / Administrative Office of the Courts
6: ARANA Ana, «How the Street Gangs Took Central America», Foreign Affairs 84, No.3, 2005
7: MATEI C. Florina, « The Impact of U.S. Anti-gang Policies in Central America : Quo Vadis ? »
8: La catégorisation des infractions n’est pas tout à fait la même aux États-Unis qu’en France, on parlerait de « violent crimes », une catégorie plus large que celle du code pénal français.
9: Cité par F. Moreno dans un article de « Contrepoints »
Pour aller plus loin :
www.us-full.com