Très attendu depuis l’annonce de sa sortie, « Chasing Trane » retrace la carrière de John Coltrane, sans aborder les codes du biopic plus traditionnel. Validé par tout le clan du saxophoniste, ce reportage s’est principalement orienté vers l’empreinte indélébile que le Trane a laissée sur la peau de ses auditeurs, chevronnés ou non.
C’est fou à quel point l’homme John Coltrane aura marqué les esprits avant et depuis sa disparition en 1967 (à seulement 40 ans). La vision du documentaire : « Chasing Trane », présenté lors du festival international de jazz de Montréal, n’a fait que me confirmer tout le bien que je pensais du saxophoniste de Caroline du Nord. Même s’il était pétri de vices plutôt néfastes pour sa santé, Coltrane restera à jamais ce jazzman en avance sur son temps, toujours en quête de nouvelles explorations musicales. Un demi-siècle après sa mort, cet hommage devenait inévitable.

L’affiche du tant attendu “Chasing Trane”
« D’autres jouaient du blues, ou du rock’n roll, lui il jouait la vie » , Carlos Santana
En accord avec la famille du défunt et de ses précédents labels sous lesquels il a enregistré ses chefs d’œuvre majeurs (Giant Steps, A Love Supreme, Ole…), le « Chasing Trane » de John Scheinfeld retrace à vitesse « grand V » l’âge d’or où John Coltrane laissait les foules pantoises derrière son passage. De ses débuts sous l’égide de Dizzy Gillespie, ou même de ses premiers gros cachets sous la direction de Miles Davis, l’ancien membre de la US Navy (basé à Pearl Harbor puis à Hawaï) ne se privait jamais pour exprimer ce qu’il avait dans le ventre. Sa générosité mêlée à son talent, ne pouvait pas passer inaperçue, y compris auprès des autres musiciens qui se rendaient compte de la chance qu’ils avaient d’évoluer aux côtés de ce personnage hors du commun :
« D’ailleurs, dès lors qu’il s’est envolé en tant que soliste, plus personne ne lui a dicté une hygiène de vie à respecter. », souligne le philosophe Cornel West.
Une musicalité bien au-dessus du jazz
Il y a exclusivement des témoignages d’affection dans ce documentaire, à commencer par celui de l’ancien président des États-Unis : Bill Clinton (saxophoniste amateur), qui a toujours admiré le Trane. D’autres musiciens chevronnés comme le batteur des Doors John Densmore, le parolier Common, Carlos Santana, Kamasi Washington, Wayne Shorter, Sonny Rollins, Wynton Marsalis, semblent tous d’accord sur le fait que leur musique à tôt ou tard été influencée par celui qui recherchait sans arrêt l’excellence auprès de son instrument. Un talent souvent jalousé par les musiciens plus sérieux, qui passaient de nombreuses heures à bosser leurs gammes, tandis que John lui, préférait profiter des instants de la vie, méditant sans répit sur l’évolution du son qu’il pouvait cracher via son cuivre.
Dans sa vie sentimentale, Coltrane aura connu deux femmes (Naima & Alice). De son premier mariage, il jouera le rôle de père de fortune auprès de sa belle-fille Antonia (qui témoigne elle aussi), puis connaîtra les joies de la paternité trois fois avec Alice Coltrane (John Jr, Ravi et Oran), ce qui lui a apporté davantage de stabilité et d’équilibre dans sa vie de musicien tourmenté, Alice ayant elle aussi une première fille (Michelle). Ses enfants rapportent unanimement dans « Chasing Trane » une personne très aimante et les rares enregistrements à la super 8 diffusés lors de la projection, ne font que confirmer leurs propos.

John tient John Jr dans ses bras, à côté de Michelle (fille d’Alice)
Coltrane n’est qu’amour, sauf pour la presse
Forcément, au fil que les minutes s’égrainent, l’émotion devient de plus en plus palpable. Coltrane est parti en pleine gloire en 1967, tandis qu’il avait tellement d’autres grandes œuvres à accomplir, mais tel fut son destin, à l’image de sa première idole : Charlie Parker, mort lui aussi, beaucoup trop tôt. Certains anciens de ses sidemen toujours vivants (McCoy Tyner, Reggie Workman & Benny Golson) ne tarissent pas d’éloges. Ce dernier, verse même la larmichette en évoquant de son ami de toujours, celui même qui a laissé un fossé incommensurable dans la vie de ses proches :
« Même sans souffler, il faisait sonner son saxophone. Ses doigts uniques avaient une dextérité remarquable. Je n’ai jamais rien vu de tel par la suite. »
Que penser des amateurs de sa musique ? Scheinfeld nous emmène ainsi jusqu’à Osaka (Japon), à la rencontre d’un fan absolu, qui collectionne tout sur l’artiste depuis ses 15 ans (il est né en 1951), l’âge qu’il avait lorsqu’il a rencontre The Trane lors de sa tournée express au Japon en 1966.
La presse a eu la critique sévère envers ce récit narré par Denzel Washington, qui parle à la première personne, comme s’il avait intégré l’âme du défunt. On lui reproche de ne pas parler assez de ses déboires multiples et de sa discographie. Pourtant, en abordant un aspect beaucoup plus intimiste, davantage basé sur l’homme que sur le musicien, Scheinfeld a semble t’il réussi son pari : à savoir rendre hommage à un génie, à ce genre de mec qui ne court définitivement pas les rues.
“Chasing Trane”
par John Scheinfeld
99 minutes
(Sources www.us-full.com)